Une montagne de feuilles qui jonchent le sol ou qui volent au vent. Une odeur d’encre sèche. Un coup de Toner. L’animal qui séjourne ici arrive tôt le matin, alors que les premiers rayons du soleil ne dardent pas encore la rudesse du giron de Dame Nature. 

Et là, assez rapidement, il va tourner et retourner le lieu à la recherche d’une feuille d’évaluation perdue ou une agrafe enfouie dans le sol. Puis, tel un bousier happé par sa tâche, il va passer son temps à imprimer, et imprimer encore, usant de ses forces dans le redimensionnement, l’éclaircissement, le passage de A3 en A4 recto/recto verso avec alignement. 

Grimaçant et couinant à chaque erreur d’impression, même si cette séance, il ne la fera que dans deux mois. Et si une autre espèce s’approche de son fief, il n’aura de cesse que de grogner et de japper, manifestant son mécontentement alors que, je cite, “il est arrivé tôt pour être tranquille”.

Cette espèce est des plus dangereuses, tant elle tire ses ressources de cette zone à la fois minuscule et étroite, mais abondante en psychotrope stimulante. Elle a donc besoin, plusieurs fois dans la journée, de revenir à cette source d’énergie. Pour sortir d’un marasme contemplatif après des heures de turpitude pédagogique, et pour redynamiser un corps usé par les assauts réguliers de la jeune génération. 

On croise ainsi de plus en plus souvent ces membres avec des extraits de la précieuse substance, jalousement gardée dans des mugs, thermos, gourdes, barriques toujours plus grands, toujours plus gros, toujours plus imposants. Rendant le pire plus acceptable. L’intenable plus festif. L'abîme plus doux. 

Avec sa touillette, instrument de joie pour ses mâchoires, le sélachi, autrement nommé l’aidant de l’amer, est un redoutable prédateur qui a toujours de la monnaie sur lui.

C’est une espèce qui, loin d’être en stade d’extinction, pullule sur nos divans, où elle s’échoue lamentablement à chaque pause, comme “Sauvez Willy” à sa énième rediffusion sur les chaînes hertziennes. Car le BDR en a marre, et il a besoin d’être dans cet environnement d’allangissement pour s’épancher. Épancher chaque muscle de son corps devant ses congénères, qu’il reconnaît à son œil rougi et son bâillement sonore, signe de ralliement d’une journée déjà bien trop longue. 

Mais épancher aussi son âme, et se laisser aller sur ce tissu cotoneux à des confidences éparses sur ces motifs de vague à l’âme : "Je ne les supporte plus”, “pourquoi j’ai pas écouté ma femme”, “pourquoi je n’ai pas de femme ?”, “il est bien avec toi ce jeune?”, “c’est quand les stages, je vais serrer”.

 Le BDR a du mal à partir de son environnement naturel, et pourtant il lui arrive de se dresser sur ses pattes de derrière quand la douce saveur de la pause méridienne se fait sentir.

Un regard hagard, une bouché hébétée, un visage surpris humant l’air et cherchant un zéphyr inexistant en milieu confiné, voici les caractéristiques principales de notre espèce, se regroupant comme mue par un instinct grégaire autour de cette source d’informations. 

Et là, devant ce totem à la fois intriguant et salvateur, chacun ira de sa question, en un rituel qui rappelle celui de la pierre et des manchots, dont ils reprennent souvent la démarche. "Ah mais c’est où cette intervention”, “ils sont pas en stage les CAP ?”, “c’est quand parcours sup?”,"c’est quoi Parcours sup ?”, “Ké mail?”. 

Toujours cette même expression, perdue, toujours cette même plainte quant à une information qui circule mal à l’heure du numérique. Les paumés s’accouplent souvent avec les BDR. Une nouvelle espèce de Paumé au bout du rouleau.

Il faut souvent faire preuve de discrétion pour découvrir cette espèce fréquente dans nos contrées scolaires. Avancer à bas bruit pour surprendre leurs messes basses, car si vous vous approchez trop brusquement, vous ne verrez que sifflotements et conversations sur le redoux et le prix du lait en poudre en augmentation. Il faut donc souvent se travestir, se grimer et lancer un appât pour confondre, une phrase sibylline mais à laquelle ils ne peuvent résister : "tu sais pas la dernière ?”, “non mais tu as pas idée de…”. 

Et là, si les paroles sont prononcées avec une certaine sonorité, les mammifères répondront à l’appel et se serreront contre vous en remuant lentement comme dans une danse de salon, à la recherche d’une solennelle communion autour de vraies ou fausses informations à divulguer ou à propager, entre deux casiers. Ou après un lavement de mains opportun.

Et vous ? Connaissez-vous d’autres espèces au sein de vos établissements ?

Monsieur Z., prof de lycée pro quelque part en France, dont l'humour sévit sur Facebook et sur Instagram. 

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